mercredi, juin 25, 2008

AU REVOIR RODRIGUES

Tableau peint par Emilie :-)

4 Comments:

Blogger loulou said...

Cri de Liberté
L’île de Rodrigues: plaidoyer pour l’autodétermination

Il y a trois siècles, on enleva hommes et femmes de leurs villages en Guinée. D’autres, au Sénégal, furent piégés et pris comme des bêtes et d’autres encore arrachés à leurs familles au Mozambique. Puis, il y avait ceux qui, à Madagascar, furent menés comme des troupeaux à bord des négriers et transportés sur l’Océan Indien jusqu’à notre partie du monde. Les infortunés qui ne moururent pas en route passèrent le reste de leur vie à travailler comme des bêtes de somme pour ceux qui les avaient audacieusement réduits à la servitude. Il ne reverraient jamais l’Afrique. Pour les autres pays du monde, ces malheureux individus représentent la face humaine d’une histoire sinistre qui s’en va pâlissant vers l’oubli, mais pour nous, Rodriguais, ils étaient bien plus; ils étaient nos arrières-arrières-grands-pères et grands-mères.

Perspective historique

Pour toucher au coeur de notre lutte contre la domination de Maurice, il faut passer en revue la chronologie rodriguaise. C’est une histoire qui est racontée de différentes manières. A vous de choisir entre la version du surveillant d’esclaves et les propres souvenirs de l’esclave; entre la thèse des cyniques qui considèrent la conquête du monde comme jus ad bellum et la réplique de ceux qui les contredisent. Avec le passage du temps, notre quête pour une vérité à demie effacée, ensevelie quelque part dans les dépouilles inertes du passé, parmi d’autres récits dilués et déformés, ne demande pas moins qu’un acte de foi.

Le nom de Rodrigues fut emprunté de façon éponyme à Diego Rodriguez, un marin portugais, dont la courte visite en 1528 annonçait la venue des Européens. Il existe des preuves que des mariniers chinois, des commerçants arabes et malais, et des pirates avaient fait escale à l’île dès le dixième siècle. On ne trouve aucune documentation conservée faisant mention d’une population indigène. En 1638, un conseil d’administration siégé à l’île avoisinante de la Réunion, régissait déjà Rodrigues en tant que domaine français. Rodrigues demeura une colonie française jusqu’à ce que les troupes britanniques prissent l’île d’assaut en 1809. Elle fut alors gouvernée comme territoire britannique à propre titre jusqu’au 30 mai 1814, lorsque son administration fut transferée à l’ île Maurice.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, trois cents effectifs de la petite population active de Rodrigues, mon père inclus, renforcèrent les forces britanniques à Tobruk et El Alamein. Cela ne nous empêcha pas d’être liés à l’île Maurice contre notre grès, livrés par les pouvoirs colonisateurs au gouvernement unitaire comme dans un mariage forcé. S’étant débarrassés de l’île Maurice, les Anglais à Rodrigues firent leurs valises, fusillèrent leurs chiens et déguerpirent.

En fait, laissés à la merci de nos nouveaux maîtres, nous payâmes pour les crimes des autres.

Notre histoire est celle d’une lutte prolongée et pénible contre des gouvernements successifs établis sans notre consentement: passant de l’état de possession française à celle de colonie française, pour devenir possession anglaise, puis dépendance de la colonie de Maurice, ensuite district de Maurice, et enfin aujourd’hui, territoire d’outremer de Maurice. La terminologie néocoloniale remplaça les étiquettes coloniales; les pouvoirs d’outremer cédèrent la place à des chefs non moins étrangers, mais pour notre peuple, l’engrenage désolant tourne toujours: Adieu l’esclavage! Bonjour l’esclavage!

Domination politique

Arrivé 1960, la décision de décoloniser Maurice et Rodrigues était déjà prise. Lorsque les négotiations et les pourparlers constitutionnels eurent lieu à Londres et à Maurice, en 1961, ‘65 et ‘67, les Rodriguais furent intentionnellement exclus. On cita comme prétexte l’absence de tout parti et de toute organisation politique.

A cette époque, le Parti Mauricien Social Démocrate, parti ultraconservateur, avait mené à Rodrigues une campagne électorale alarmiste, faisant grand cas des tensions ethniques.

Outre les promesses de liberté, Duval, le leader du PMSD, avait réussi à convaincre notre peuple que la retraite des Anglais entraînerait la descente du diable et son dam sur Rodrigues. Il n’est pas surprenant que 97% de Rodriguais, votant pour la première fois de leur vie en 1967, s’opposèrent à l’annexion à l’île Maurice. Malheureusement, la volonté explicite de notre peuple fut victime de l’urgent complot pour l’annexion de notre patrimoine.

Il faut préciser qu’en 1967, les Rodriguais n’eurent pas de choix entre l’indépendance et le colonialisme. Notre dilemne était plutôt de choisir entre la colonisation par les pouvoirs britanniques et l’occupation sous le joug du maître mauricien; sort qui rappelle celui de l’Indochine: occupation japonaise ou colonisation française.

Les Rodriguais ne souhaitaient pas plus vivre sous le joug britannique qu’ils ne sollicitaient une existence sous la botte mauricienne. Nous ne nous faisions pas non plus à l’idée de déraciner nos familles, d’abandonner les dépouilles de dix générations de nos ancêtres enterrés à Rodrigues, pour naviguer vers un pays étranger. Cependant, pendant ces journées de violences à Maurice, propres à figer le sang dans les veines, des gens mouraient dans la rue; nous craignions d’être nous-mêmes tabassés. La réalité de l’époque donnait le frisson. Plusieurs prirent la décision d’émigrer, abandonnant qui ses biens, qui sa maison et sa terre, pour s’enfuir au Canada, en Australie, en France, en Angleterre, en Afrique du Sud et à d’autres parties du monde. Beaucoup en sont encore touchés au vif.

En 1968, avant que l’encre ait séché sur la constitution unilatéralement ébauchée pour l’indépendance, dans une nuée de gaz lacrimogène, des policiers brandissant leur matraque tentèrent en vain de hisser le drapeau mauricien au sommet de Port Mathurin.
C’est ainsi que, du jour au lendemain, les Rodriguais devinrent des citoyens mauriciens contre leur gré. Comme les Rodriguais continuaient à défier le pouvoir du nouveau gouvernement et étaient prêts à manifester par des émeutes contre la corruption on fit appel aux troupes britanniques pour étouffer le soulèvement.

Admettons qu’après le départ des Anglais en 1968, nos mains n’étaient pas coupées. N’empêche que Rodrigues fût réduite à un fief mauricien, où la marginalisation devint vite la norme institutionnelle. En comparaison avec les Mauriciens, nous nous trouvâmes vite face à un taux de chômage, un coût de la vie et une mortalité enfantine plus élevés, à un taux de scolarité primaire et d’alphabétisme et un niveau de vie plus bas. La discrimination, la domination et l’exclusion devinrent communes et flagrantes. Aujourd’hui même, la force majeure continue à étayer le statu quo.

En 1976, on créa un nouveau ministère chargé de s’occuper des affaires rodriguaises. Jusqu’à nos jours, seule un poignée de Rodriguais ‘modérés’ et aux ailes rognées a été cooptée à ce porte-feuille. Qui plus est, aucun Rodriguais n’a tenu ce poste au cours des dix dernières années, et rien n’indique que les choses vont changer dans un avenir proche. Les hommes politiques mauriciens nomment arbitrairement le ministre pour les affaires rodriguaises, tandis que les bureaucrates mauriciens, eux-mêmes choisis politiquement, régissent Rodrigues par procuration, sans égard pour la volonté de l’électorat.

En 1991, lorsque les Rodriguais eurent l’audace de demander plus de contrôle sur leur propre pays, on fit pour les apaiser le geste symbolique de créer un conseil régional d’administration. Des sympathisants et des laquais furent astucieusement triés, auxquels on permit de faire des recommandations sur les affaires locales. Cependant, lorsque le conseil, tout édenté qu’il fût, commença à provoquer la fierté nationaliste chez ceux qui montraient trop d’audace, il fut sommairement dissous en 1996.

En 2001, après une lutte longue et acharnée, l’argument pour l’autonomie du peuple rodriguais avec son ethnie particulière fut presenté pour la première fois. Finalement, 170 ans après l’abolition de l’esclavage, la possibilité apparut, bien que brièvement, d’une dévolution radicale du contrôle et de la politique centralisatrice de Maurice.

En 2002, avec beaucoup de fanfares, et après que des discoureurs propagandistes eussent déclamé leurs belles phrases les plus recherchées, et que les affamés de pouvoir et de gloire fussent pris en photo, vint l’autonomie. Le Conseil de l’île fut baptisé du titre d’Assemblée Régionale et les conseillers devinrent des commissaires. On construisit quelques batîments ici et là, quelques intendants prirent l’avion pour Maurice, contents d’aller s’asseoir sagement parmi les membres sans porte-feuille du gouvernment, et Rodriques fut frappé d’un fléau de caméléons. Voilà à peu près ce qui se passa.

Les ministres mauriciens continuèrent à microgérer nos affaires, nous laissant le privilège d’élire des laquais qui leur servaient de garçons de course, prêts à obéir à tous leur ordres. Le gouvernement national retint tous les pouvoirs législatifs et pratiquement tous les autres droits. A la fin, même ses partisans les plus fervents durent admettre que notre autonomie était un mirage.

Lorsque nous levons le voile sur l’élégant sophisme, nous voyons encore un peuple régi par un autre, non seulement sans son libre consentement mais nettement contre sa volonté. La loi sans partage existe encore à Rodrigues; on peut l’observer toute l’année à Port Mathurin, tendant ses muscles de poids lourd et se frappant la poitrine, tel un gorille.
Au risque de d’avoir l’air d’enfoncer une porte ouverte, nous nous devons de répéter qu’on ne peut décrire comme autonomie la discrétion administrative limitée pas plus qu’on ne peut prendre un pourceau pour un éléphant.

L’héritage colonial de la dictature bureaucratique ne fut jamais démantelé à Rodrigues; il fut au contraire renforcé. Des fonctionnaires étrangers, agissant comme des seigneurs de la guerre, donnent les ordres et notre peuple obéit sans un mot. Le chef de police, le juge, le ministre pour les affaires rodriguaises, tous les plus hauts chefs de départements, tous les avocats, tous ceux qui font les règles, tous ceux qui gouvernent véritablement l’île de Rodrigues viennent de Maurice.

Lorsque notre patois créole, qui est imprimé au fond des expériences et des luttes de notre peuple, est méprisé dans notre Assemblée, lorsque 70% de notre peuple sont disqualifiés à la vie politique parce qu’ils ne parlent pas une langue qui leur est étrangère, lorsque les écoliers mal nourris, instruits à moitié, sont forcés d’apprendre trois langues, lorsqu’aucune littérature portant sur notre culture africaine ne fait partie du programme d’enseignement créé par d’autres à notre intention, lorsque nos enfants imitent les cultures, croyances, langues et traditions différentes des leurs à fin de retrouver leur amour propre, lorsqu’il est interdit à nos fonctionnaires, qui représentent 90% des plus intruits parmi nous, de prendre part à aucun discours politique, lorsque notre peuple parle d’indépendance à voix basse et en cachette par peur des espions de l’Etat, lorsque tout est contrôlé par des forces extérieures, il n’y aucune liberté, seulement la domination.

Les garanties constitutionnelles d’une vraie démocratie, de l’absence de classe dominante ou de citoyens de seconde classe, tout ceci semble bon pour tous excepté les Rodriguais. Le citoyen rodriguais est comme un être emprisonné, menottes aux poignets, dans un cauchemar de colère refoulée dont il ne peut se réveiller, témoin impotent de la mort de sa culture.

Maurice parle des droits de l’homme aux Nations Unies, voue sa solidarité avec le Comité de Développement de l’Afrique du Sud et avec l’Union Africaine, tout en retenant sa propre domination coloniale. Cette moralité à double face défie toute description.

L’autodétermination

Il a coulé beaucoup d’eau et de sang dans l’Océan Indien depuis la libération, du moins en principe, de nos frères et soeurs à Madagascar, en Inde, au Sri Lanka, aux îles Comores, en Afrique, aux Maldives, aux Seychelles et à Maurice des malheureuses chaînes du colonialisme. Pour nous Rodriguais, cependant, l’ignominie de l’occupation mauricienne continue à hanter notre vie quotidienne. Au 21e siècle, Rodrigues, un des derniers vestiges du colonialisme de la région, est devenu le malade de l’Océan Indien, branché en permanence à une infusion intraveineuse d’assistance sociale et toujours suppliant le kleptocrate étranger de le lacher.

Certains ont justifié l’intégration automatique de Rodrigues au sein du territoire indivisible de Maurice comme une conséquence naturelle de la décision britannique de cataloguer Rodrigues comme dépendance de cette colonie, propre à être administrée comme une partie de Maurice. Donc, tout démembrement de territoire avant l’indépendance aurait été contre la loi internationale. Si nous suivons cette logique, nous devons alors aussi reconnaître que tout régime imposé par les forces impériales lie les générations futures à perpétuité. Et si nous appliquions cette règle retrospectivement, nous pourrions citer les lois de 1936 de Mussolini comme prétexte pour miner éternellement la vie des Ethiopiens.

Lorsque Mad-Dog-Morgan était gouverneur de la Jamaïque, les pillages et les rapts étaient à l’ordre du jour. Bien entendu, lorsque le pirate fit sa sortie, les excès de son régime disparurent avec lui. C’est avec la baïonnette au bout du fusil que les Anglais eux-mêmes prirent Rodrigues des mains des Français; cependant, l’administration mise en place pendant leur règne fut annulée au moment même de leur départ.

Il n’y eut jamais de onzième commandement qui accordât aux Anglais le droit divin de léguer à perpétuité notre vie, nos terres et notre pays à l’île Maurice. Notre peuple n’a jamais été la propriété privée de quiconque; nous n’avons jamais été du bétail propre à être passé des mains d’un propriétaire à l’autre.

Le gouvernement unitaire fait partie de la politique coloniale britannique. Conséquemment, en dépit des tensions latentes entre les diverses populations ethniques et géographiques, bien des territoires ont été fusionnés en états unitaires. Comme exemple, la Nouvelle Zélande fut administrée en tant qu’une colonie de New South Wales; les Antilles furent groupées bon gré malgré en un seul territoire; les Seychelles furent gouvernées comme partie intégrale de l’île Maurice. Les Anglais rêvaient même de grouper toutes leur colonies de l’Afrique de l’est en une fédération. C’est par le véto généreux des leaders indiens que la Birmante fut épargnée le sort d’être administrée en tant que territoire de l’Inde. Malheureusement, les Rodriguais n’avaient ni un Ghandi, ni un Jinnah, ou un Nehru; le destin nous avait fait don d’un Duval, d’un surcroît de démagogie et de trahison.

La simple vérité, si dure qu’elle soit à digérer, est qu’à la fin du régime colonial, Rodrigues avait une population, que l’île appartenait à cette population et n’était pas une terre vierge propre à accaparée par le tout venant. Le 12 mars 1968 aurait dû être un jour de fierté pour deux îles s’engageant côte-à-côte en libre association, toutes deux célébrant leur liberté. Hélas, on éprouva de la fierté d’un côté de l’Océan Indien et l’humiliation de l’autre. Au sombre anniversaire de ce triste événement, certains Rodriguais observent encore une minute de silence … et se souviennent.

Le défaut dans l’argument contre le démembrement est qu’il est basé sur la fausse prémisse que Rodrigues était une possession légitime de Maurice avant l’indépendance. Tel ne fut jamais le cas. L'île Maurice n’a jamais découvert Rodrigues comme terra nullius; elle n’a jamais conquis Rodrigues; les Anglais n’ont pas saisi Rodrigues des mains des Français en 1814 dans le but de la céder à Maurice; les Rodriguais n’ont jamais abandonné leur souveraineté et leur intégrité territoriale en faveur d’une Pax Mauritiana. De plus, la nation rodriguaise n’a jamais consenti à faire partie de l’île Maurice ou d’être gouvernée par elle. Comment effacer la propagande promue par l’Etat, sans cesse répétée par les écoliers et imprégnée dans leur cerveau? La vérité non tarnie est que Rodrigues faisait partie de l’Empire Britannique jusqu’en 1968; de nos jours, Rodrigues est un pays annexé et sous occupation. Rodrigues n’est pas plus un territoire de Maurice que le Bostwana un district de l’Inde.

Que la Grande Bretagne fît don de Rodrigues à Maurice en 1968, tout comme elle offrit l’Erythrée à l’Ethiopie, ou que Maurice se l’annexât de façon opportuniste, telle n’est pas la question. Quelle que fût la complicité ou le commerce, dont nous fumes bien entendu exclus, entre la Grande Bretagne et son ministre pour les affaires coloniales fut un acte illégal et immoral. C’est le geste d’un pirate qui, à son départ, récompense son esclave en lui faisant don à son tour de son propre esclave.

Ce fut un acte effronté, par lequel les intérêts d’un pays furent sacrifiés aux ambitions territoriales d’un autre. Maurice ajouta 130.000 miles de notre zone économique exclusive à son territoire, et notre peuple perdit sa patrie et sa dignité. Le Royaume-Uni, Maurice et la communauté internationale le comprennent très bien, comme moi, comme vous, comme nous tous – c’était répréhensible à l’époque; ce l’est encore aujourd’hui!

En 1968, on n’aurait jamais dû évoquer notre manque de maturité économique et politique comme prétexte pour nous priver de notre indépendance. Maurice aurait dû avoir sa propre indépendance tout comme la Rhodésie du Nord. Rodrigues aurait dû être placé sous la protection du Conseil de Tutelle des Nations Unies, comme un territoire non autonome. Une commission pan-africaine ou un comité spécial des Nations Unies pour l’autodétermination aurait pu alors créer un projet à long terme pour notre indépendance.
Sous une constitution établie d’un commun accord et comportant une échappatoire, nous aurions même maintenu une libre association avec Maurice, au lieu d’être perpétuellement emprisonnés dans l’abomination actuelle, désignée par l’euphémisme d’autonomie.

Si les dettes historiques sont payées, même en partie, et si les responsabilités légales, ou tout au moins morales, abrogées en 1968, sont restituées, les injustices du passé peuvent être réparées, même tardivement. Nous gardons cet espoir. Notre destin n’est pas d’être gouverné à perpétuité par d’autres peuples. Dans le passé nous ne nous sommes pas résignés à l’administration coloniale imposée par la France; nous ne l’avons pas acceptée de la part des Anglais; et nous ne l’accepterons jamais de Maurice.
Une ethnie diluée

La majorité des 1,3 millions de ressortissants mauriciens sont descendants de coolies transportés, pour la plupart, d’Andhra Pradesh, Gujarat, Maharashtra, Tamil Nadu, Bihar et Uttar Pradesh par les Anglais pour combler la pénurie de main-d’oeuvre sur les champs de canne à sucre, tandis que 95% de la population rodriguaise forte de 40.000, sont descendants directs d’esclaves africains. En d’autres mots, quand il s’agit d’identité, il y a autant de différence entre le peuple Rodriguais et le peuple Mauricien qu’entre, par exemple, Kenyans et Mexicains.

Les Rodriguais ne sont pas une population indigène ou une minorité ethnique en quête d’une autonomie interne réalisée par étapes; nous sommes un peuple distinct, poussé par le fervent désir d’un avenir d’autodétermination. Notre argument pour une souveraineté entière est des plus forts. Qui plus est, nous ne pouvons jamais céder notre patrie; nos ancêtres ont payé trop cher pour elle!

Jusqu’à récemment, la modeste capacité de Rodrigues, soit approximativement 50,000 habitants, et son éloignement géographique ont pu, dans une certaine mesure, préserver son identité culturelle. Cependant, au cours des récentes années, un nombre croissant de Mauriciens sont venus s’installer sur les terres domaniales de Rodrigues. Si cette tendance (ou politique du gouvernement) persiste, la certitude mathématique est que nous serons réduits à une minorité moribonde. Si on mélange 30 bouteilles de bière et une bouteille de limonade, la limonade disparaît.

Notre culture, nos moeurs, notre langue et notre mode de vie disparus, notre identité sociale perdue et notre cri de souveraineté étouffé, nous serions réduits à l’état de demi-esclavage et de serfs subjugués, relégués au bas de l’échelle sociale de Maurice. Le peuple rodriguais, jadis si fier, serait réduit à une bande hétéroclite d’intouchables, chapeaux de paille sous le bras, faisant des courbettes dans le demimonde des ghettos mauriciens ou n’ayant d’autre qu’une maigre subsistence sur les flancs de nos montagnes. Plus jamais nous n’oserions espérer être autre que la moitié de notre propre valeur, un peuple à la manque, toujours luttant pour rattraper les autres cultures. Nous serions un peuple inerte. C’est un défi existentiel qui s’adresse à tous les Rodriguais. Si nous n’y faisons pas face, nous finirons sans aucun doute comme le dodo. Ce n’est pas que j’y croie; j’en suis certain.

Conclusion

Le mauvais choix du prénom de Rodrigues (fils de Rodrigo), commun au Portugal, fut fait pour nous par d’anciens maîtres pendant une période funeste. S’ils avaient à porter ce nom pour toujours, même la fraternité des gobelins, des gnomes et des gremlins armeraient leur AK47. Plaisanteries à part, ce nom est un vieux relique, fossilisé dans une autre ère, nettement éloigné de l’âme de notre peuple et incompatible avec elle. Ajoutons à ceci les images sanglantes que le nom évoque de la brutalité des Portugais dans cette région. Il est grand temps que notre génération rende ce nom à l’histoire; c’est là qu’il appartient.
Nous avons perdu un pays, on piétine sur notre corps politique; la puanteur de l’humiliation envahit l’atmosphère; l’amnésie culturelle est manifeste et pourtant une petite clique de marionnettes gonflées et d’Oncle Tom d’aujourd’hui, ‘bien assimilés’, nous prêche encore le consentement à la domination impériale. Des étrangers au delà de nos rives, que nous ne pouvons ni élire ni déplacer, déterminent nos systèmes et nos bornes électoraux, nos lois, nos impôt, nos tarifs, notre service de santé publique, notre systême d’éducation, nos politiques étrangère et économique. Des étrangers décident de l’avenir de nos enfants. Des étrangers décident! Depuis presque 300 ans, des étrangers ont tout décidé. Il est temps que ce soit nous qui décidions! Car nous aussi avons un cerveau et une échine. Oui, c’est vrai! Nous aussi avons nos propres ambitions et nos propres espoirs. Le moment est venu pour couper le cordon ombilical, d’agir résolument pour mettre fin à notre dépendence des autres, de croire que si nous réduisons notre consommation et travaillons dur, l’indépendance économique et politique n’est pas seulement possible mais aussi souhaitable.

Il n’est plus le moment de se fier à des idées reçues, des concepts et des systèmes qui ont contribué à notre état de subordination. Il est temps d’explorer d’autres possibilités et d’autres stratégies, voire même d’en inventer de nouvelles, mieux adaptées à nos circonstances. Il est l’heure de cesser d’imiter les autres et d’avoir confiance en nos propres capacités, en notre valeur intrinsèque.

Le peuple rodriguais est une race tenace. Je l’affirme parce que, à l’encontre de l’opinion populaire, c’est lui qui a travaillé la terre, pêché en mer et, élevé le bétail pour soutenir cette modeste économie, et depuis des générations. Nous l’avons fait dans le passé, nous le faisons aujourd’hui, et nous pouvons encore le faire – et même mieux qu’avant.

Nous avons assez d’entendre dire que nous sommes une population trop pauvre, trop faible, pas encore prête. Ce sont de vieilles rengaines qu’on nous a chantées trop souvent, faisant appel à notre patience pour mieux nous entraver plutôt que nous libérer. Heureusement que les peuples subjugués du monde entier n’en ont pas été dupes, sinon la plupart des îles des Caraïbes et des Océans Indien, Atlantique et Pacifique, une partie de l’Afrique et l’Asie, et peut-être même la moitié de la planète seraient encore de nos jours sous quelque forme de régime colonial. Tout compte fait, quels sont le taux de population et la puissance économique requis pour qu’un pays ait droit à sa liberté? Qui en est le juge? Nos leaders doivent rétablir un dialogue avec les pauvres et les indigents de notre pays, restaurer les liens avec nos frères en Afrique, rassembler notre people depuis sa base et revendiquer ce qu’ils nous ont volé en 1968, c’est-à-dire notre patrimoine.

Ne nous laissons pas décourager par l’indifférence du McMonde avec sa mentalité de la jungle; n’hésitons pas, armons-nous de courage et réclamons l’indépendance. Parlons-en fièrement et à haute voix dans toutes les maisons, dans toutes les églises, toutes les foires, à tous les ports de pêche, sur toutes les fermes, au coin de toutes les rues, dans tous les autobus, et où que les nôtres se rencontrent et quelle que soit l’heure. Notre tâche demandera des sacrifices, mais si aujourd’hui nous abandonnons notre lutte pour l’indépendance, nous condamnons nos enfants à encore trois siècles de domination étrangère. Le choix est sans ambiguïté: la lutte ou la servitude perpétuelle.
Ils se sont servis de notre peuple comme cobaye pour des expérimentations sociales les plus inhumaines. Pour citer les paroles poignantes du poète martiniquais, Aimé Césaire: «Ils nous comptaient les dents, ils nous marquaient au fer chaud et ils nous passaient au cou le collier du sobriquet.» Nous avons été les malheureux sujets de la séquence monstrueuse partant de l’esclavage au colonialisme, au néo-colonialisme et enfin à l’oeuvre civilisatrice des missionnaires. Malgré le traitement inhumain, l’avilissement et l’indignité, malgré la perte de nos fiers noms africains, de notre identité propre, de nos vêtements africains traditionnels, nos croyances et nos relations avec nos semblables en Afrique, nous avons déjà pardonné pour nous tourner vers l’avenir.
La domination perpétuelle n’est pas le but vers lequel nous voulons mener nos enfants. En d’autres mots, comme le Pape Jean Paul II disait toujours aux peuples vivant sous l’occupation d’autres peoples: «Vous n’êtes pas ce qu’ils disent; permettez-moi de vous rappeler qui vous êtes vraiment.»

La période d’apprentissage par laquelle notre peuple est passé a assez duré. Il est temps que nous soyons libres. Le moment est venu pour nous de sortir de l’abîme de la servitude et de voir le monde de nos propres yeux. Comme héritiers à part égale de cette planète, c’est notre droit inaliénable de determiner nous-mêmes notre avenir. Exerçons ce droit et réclamons notre héritage au sein de la famille humaine.

Vive Rodrigues … Libre

Alain L’évêque

5:03 AM  
Blogger Birgit Rudolph/Dirk Krehl said...

Wow!
Cela je dois lire encore une fois...

Bisous à toi et Pierre!

Birgit

8:03 PM  
Blogger Birgit Rudolph/Dirk Krehl said...

Wow!!!

Cla je dois encore une fois...!

Pour le moment juste des bisous à toi et Pierre

Birgit

Il pleut beaucoup à l' instant...

8:06 PM  
Blogger Glennis said...

A nice happy fish, for a farewell.

3:38 AM  

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